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le cycle de quatre saisons





L'amour humain, non sous sa forme la plus désincarnée, mais au contraire sous sa forme la plus terrestre, si on le considère en ce qu'il a de pur, est une chose difficile à unifier, obéissant au cycle des quatre saisons.  

Je le dis « difficile à unifier » parce que ce en quoi consiste cet amour humain, cela est vraiment difficile à attribuer à une essence unique.  Que, par exemple, tu souffres de ce que ta maîtresse ne t'aime plus autant qu'avant, tu peux t'en vouloir à toi, tu peux regretter de ne plus être autant aimé, mais alors cela revient à dire que tu aimes être aimé, donc, en quelque sorte, c'est toi-même que tu aimes [à travers elle].  Voici en quelques mots le problème de l'amour-propre.  

Ce n'est pas tout cependant puisque, même si tu aimes être aimé à travers elle, tu aimes aussi le fait qu'elle t'aime, et tu aimes l'aimer.  Tu déplaces donc l'amour à un niveau d'abstraction supplémentaire, un cran « méta ».  Tu aimes autant une relation que tu aimes un objet.  Donc, si tu veux, l'amour est une de ces boucles que la nature a créées comme pour pouvoir sortir d'elle-même, et cet amour, fût-il tout profane, était une ouverture vers... quelque chose de plus... certainement...  

Et que dire de l'amour encore, à quelle idée correspond-il ?  Je dis qu'il obéit au cycle des quatre saisons parce que suivant le temps de l'amour auquel on se trouve, sa logique est toute différente.  Dans le meilleur des cas, il y a une phase où deux êtres qui s'estiment, par la rencontre qu'ils font, s'éprennent des qualités l'un de l'autre, et, concevant une certaine fierté à s'entre-estimer, recherchent une connaissance plus poussée l'un de l'autre...  Mais ne dira-t-on pas que ce type de passion a quelque chose d'adolescent ?  On sait en effet qu'en son climax, la passion amoureuse se dénoue naturellement par l'union des corps, en laquelle fusionnent tous les éléments de cristallisation de l'un et de l'autre...  Appelons « saison des troncs » la période où deux beaux arbres en viennent à s'estimer, et « saison des fleurs » la période où les corps fusionnent...  Cette dernière saison, on le sait, n'est en fait que le piège que nous tend la nature pour obtenir ce que tant des nôtres considèrent comme le développement heureux de l'amour : l'enfant.  Appelons « saison des fruits », la période de l'obtention de l'enfant.  Elle est le piège romantique par lequel le génie de l'espèce nous manœuvre pour obtenir la reproduction humaine.  Mais que se passe-t-il ensuite ?  Le couple évolue, et ce qui était naguère passion violente devient une douce routine où de manière patrimoniale deux parents concourent à assurer l'éducation et l'entrée dans la vie d'une jeune pousse...  Appelons « saison des graines » cette dernière phase, et nous voyons que le cycle recommence...  

Et l'Homme du Sens, le Fils du Paradoxe, où se situe-t-il dans ce cycle ?  Serait-il partial au point de préférer une saison aux trois autres ?  Non, cela ne se peut.  D'autant que c'est un cycle, un cycle qui, donc, n'a aucun sens, qui tourne à vide... et qui pourtant laisse la possibilité du Sens, pour certains qui en seront issus...  

C'est un cycle, donc quelque chose qui tourne à vide, dans l'immanence.  Et comme tout le monde n'est qu'immanence (à l'exception, dois-je dire, de la Question), il faut qu'il en soit ainsi, il faut que ce cycle tourne !  Mais encore, puisque c'est un cycle de quatre saisons, chaque saison, qui n'a aucun sens de par elle-même, reçoit sa valeur de l'existence et de l'influence des trois autres...  Que si la saison des fleurs devait venir sans qu'il y ait jamais de fruits, l'humanité s'éteindrait...  

Or, l'humanité de ce temps [celui où sont composées ces lignes] commence à peine d'entrevoir la possibilité de briser le cycle, de disposer, par exemple, d'autant de fleurs qu'on veut, sans jamais plus se soucier des fruits...  Ou bien par une automatisation des rapports humains, une banalisation de la contraception, une mécanisation de la production des enfants, l'ectogenèse...  Et si l'homme s'engage sur cette voie, il est perdu...  

Aussi bien, le Fils du Paradoxe ne peut s'engager de manière partiale dans une saison plutôt que dans une autre, aussi bien, d'ailleurs, parce que le Sens est partout, qu'il irrigue chaque position du cycle, et d'ailleurs, on a dit que la Question était transcendance, elle est donc le centre de ce cycle, centre qui n'est pas présent lui-même dans le cycle, tout comme le centre du cercle ne figure pas dans le cercle... non présente dedans, mais le commandant depuis l'extérieur, ineffablement.  

Le Fils du Paradoxe est impartial, ce qui veut dire qu'il s'occupe de toutes les saisons, ou bien qu'il ne s'occupe d'aucune.  Mais, comme il ne descend pas dans le cycle au point de se perdre en lui (car, alors, s'abolirait la Question, et le monde n'aurait plus d'assise), il est nécessaire qu'il se tienne en-dehors de ce cycle. Et comme il ne préfère pas une saison à l'autre, il peut bien avoir des maîtresses et des enfants, il peut bien admirer et éduquer, mais qu'il soit bien clair que ses maîtresses ne seront pas charnelles, que ses enfants le seront par l'Esprit, que ses admirations seront sublimées, et son enseignement, général.  Que cela ne trouble pas plus que cela...

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  [Œuvre d'Escape, 1990-2015 (achevée, présentée au monde), auteur initial : Escape, France].  
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